La pêche au thon à Trébeurden, 1946-1950 :
En 1946, juste après la guerre qui a limité l'effort de pêche, les bateaux de la baie de Lannion traquent les bancs de poissons à la voile, au filet droit pour les sardines, afin d'épargner le carburant encore rationné.
Le docteur Miroux de Lannion, qui possède un bateau de plaisance à Trébeurden "Frou-Frou", fut le premier à "chasser" le thon rouge sur la côte, averti par les marins-pêcheurs locaux de la présence de ce redoutable prédateur, qui déchirait les filets, en poursuivant les bancs de sardines : Ur loen lous a zo ganin - "j'ai une sale chose avec moi", se plaignaient les marins, dont Ropartz Broudic, marin-pêcheur très averti de Trébeurden, qui armaient deux bateaux à cette pêche fructueuse.
Cependant, cette découverte allait faire pendant quelque temps le bonheur des "pêcheurs de gros" et du tourisme local. Le Dr Miroux prévenait aussitôt Tony Burnand, un journaliste spécialisé dans la pêche sportive, et Charles Ritz (propriétaire de l'hôtel Ritz de Paris et passionné de pêche sportive). En effet, la recherche de gros poissons, espadons, requins, thons, pour la pêche sportive, contraignait ses adeptes souvent fortunés, à de lointains déplacements dans les mers chaudes. La découverte de thons rouge en baie de Lannion ne pouvait que combler les Français, mais aussi les adeptes américains de ce loisir particulier.
Les Français contactèrent Michel Lerner, président de l'International Game Fisching Association de New-York, afin qu'ils les aident à créer un "French Tunny Club" et leur fasse profiter de son expérience. Celui-ci vint donc avec son épouse Helen en août 1947 à Trébeurden, avec ses aides- accompagnateurs et toute la matériel nécessaire (matériel de pêche, moteurs hors-bord, fauteuils spéciaux). C'est dans ces circonstances que le syndicat d'initiative local et l'Hôtel Bellevue, tenu par les époux Boivin, apportèrent leur concours à l'opération. Ces invités de marque furent accueillis pendant la saison à l'hôtel et reçurent le service des pêcheurs locaux, pour les faire naviguer sur leurs bateaux, néanmoins peu adaptés à ce type de pêche. Le premier bateau utilisé fut "La Judelle" de Thomas Flattrès, un solide sardinier, dont le gréement fut retiré pour l'équiper d'un seul mât de charge et d'un moteur hors-bord ; à l'avant le fameux siège du canneur. Plusieurs pêcheurs locaux venaient en renfort des Américains : Hyppolite Merrer (dit Polyte), Isidore Le Quellec, Job Le Goff (président de la Coopérative des pêcheurs) et Henri Lissilour.
Cette première campagne de l'été et de l'automne 1947 fut fructueuse : plusieurs thons, dont l'un de plus de 200 kg, furent pris. Les prises furent partagées entre toute l'équipe des pêcheurs et par la suite la valeur des pêches fut allouée à l'hôpital et à la caisse d'entraide des marins. L'année suivante, en 1948, naissait le "Thon Club Association" de Trébeurden, dont le président fut le Dr Miroux et le secrétaire Félix Boivin. Cette association fonctionna jusqu'en 1955.
L'Hôtel Bellevue continuait à recevoir les nombreux pêcheurs de thons les étés suivants (jusqu'en 1949), et les pêcheurs professionnels locaux purent louer leurs bateaux à ces nouveaux pratiquants : le "Ker-Ys" de Henri Lissilour, "Notre-Dame-de-La-Clarté" et "Reder Mor" de Ropartz Broudic. Ce nouveau sport attira de nouveaux commerces à Trébeurden ; vendeurs d'articles de pêche (Perrot, Pezon et Michel). Cependant, le succès fut de courte durée : à partir de 1950, les sardines, pour une raison inexpliquée, désertèrent les eaux trégorroises et les thons suivirent leur "garde-manger". Les espoirs à long terme des Trébeurdinais de créer un grand centre de pêche aux thons furent déçus ; mais ce nouvel atout touristique supplémentaire participa à la consécration de la station touristique, qui avait su attirer de nombreuses personnalités, sur son territoire, dont Monsieur Ingrand, (haut-commissaire au Tourisme), Cojan (président du Comité central des Pêches Maritimes), et s'attirer une promotion nationale et internationale auprès de la presse tant "grand public" que spécialisée (photographes, cinéastes et journalistes commentèrent et illustrèrent longuement l'évènement).
Cette courte épopée de la pêche au thon, qui eut aussi son pendant à Trédrez-Loquémeau, fait aujourd'hui partie de l'histoire et de l'identité maritime locale.