XXX Mar 18 Juil 2017 - 19:05
Depuis le début de l’année, deux chalutiers chinois amarrés sur un des quais du port de pêche opèrent dans nos eaux territoriales, en infraction avec la législation. La pratique est dénoncée par les pêcheurs djiboutiens. Ils ne comprennent pas l’impunité dont bénéficient ces navires chinois. Ils estiment qu’ils ne peuvent se taire plus longtemps face à ce qu’ils considèrent comme une situation intenable. Ils s’injurgent contre le pillage en cours. Ils ne souhaitent pas qu’après avoir écumés et épuisés leurs fonds marins ces navires détruisent le nôtre. Ce bras de fer oppose in fine les petits pêcheurs qui exercent une pêche artisanale pour faire vivre leur foyer, et ceux qui pratiquent une pêche peu durable et mettent en danger les fonds marins djiboutiens.
Pour en savoir plus sur ce mouvement d’humeur de la communauté des pêcheurs, nous avons rencontré, Ibrahim Omar Ali, dit Ibrahim Mougga, président du syndicat des pêcheurs d’Obock. De quoi s’agit-il ?
« C’est simple, depuis le début de l’année deux chalutiers chinois sévissent dans nos eaux, en complète infraction avec le Code de la pêche [1]. Il nous a été raconté par le ministère concerné que ces navires n’exerceraient leur activité de chalut qu’en dehors de nos eaux territoriales. Ce point ayant été éclairci, nous avions été rassurés et n’avions rien à redire quant à leurs activités. Sauf que ces navires ont été arraisonnés en flagrant délit de chalut par mes confrères à deux reprises. La première fois en début d’année, non loin des îles Maskali-Moucha et, tout récemment dans le courant de ce mois, dans le nord du pays, dans les eaux environnant les îles des Sept frères ! Nous avons bien évidemment alerté les autorités compétentes sur cette pêche illégale. Mais, elles semblent ne pas pouvoir agir, elles se disent impuissantes… Personne n’est, à même, de nous dire qui a autorisé ces chalutiers à sévir à Djibouti ».
Ibrahim Mougaa, ne peut cacher sa colère, son indignation, son incompréhension devant l’indifférence générale devant les agissements répréhensibles de ces navires. Il se demande : « Pourquoi ont-ils le droit de saccager nos récifs sans que personne n’ait rien à redire ? Nous sommes allés frapper à toutes les portes, personne ne sait. Que ce soient les affaires maritimes, la direction de la pêche ou les gardes côtes, personne ne veut savoir ou ne veut entendre ce que nous avons à dire. Or ces chalutiers stationnent à cinquante mètres du quartier général des garde-côtes, il semble évident qu’ils exercent leur activité dans la plus grande impunité. C’est vraiment à ne rien y comprendre ».
Et d’ajouter, avec exaspération : « Ces personnes sont inconscientes : les chalutiers commettent l’irréparable, ils ravagent notre environnement et détruisent pour toujours notre habitat marin. Nous, nous voulons agir pour les générations futures. Nous voulons que nos enfants puissent eux aussi vivre de la pêche. Cela ne sera plus possible si l’on laisse les choses en l’état ».
Son incrédulité est d’autant plus grande que les pouvoirs publics organisent régulièrement des activités à destination des pêcheurs pour les former sur des techniques de pêche respectueuses de l’écosystème marin… « Le plus invraisemblable dans cette histoire, c’est que la direction de la pêche organise régulièrement des ateliers de sensibilisation à l’attention de la communauté de la pêche. Le dernier s’est déroulé au Sheraton Hôtel, en janvier [2], où un constat accablant avait été posé : Djibouti est victime d’une pêche illégale extrêmement bien structurée, et celle-ci fragilise considérablement l’écosystème dans son intégralité.
Aussi, je m’interroge : à quoi cela sert-il de dépenser l’argent des bailleurs internationaux pour nous sensibiliser, si on laisse les Chinois agir à leur guise ? ».
Ibrahim Mougga, poursuit sa plaidoirie et milite pour une pêche plus durable. La protection de l’océan est l’affaire de tous insiste-t-il. « Le gouvernement a l’obligation de protéger, de surveiller la pêche afin qu’elle n’ait pas d’impacts négatifs sur les populations marines. Que dire de la pêche au requin, que ces chalutiers attrapent sciemment avec leur filets. Ils leur coupent les ailerons puis rejettent la carcasse en mer. Des textes de loi existent, nous demandons qu’ils soient appliqués. Des mesures d’interdiction ou d’encadrement de la méthode sont là pour ça. Le cadre réglementaire doit être renforcé, afin que les sanctions soient plus sévères, plus dissuasives. Il faut prendre des mesures plus énergique pour supprimer la pêche au chalut. Cela ne devrait pas être si difficile, cette pratique est illégale sur notre territoire. Il faut savoir que les pêches ont chuté de façon vertigineuse, nous constatons un effondrement des stocks de certaines espèces, par exemple, on ne trouve plus de mérou… Ces navires sont intéressés par nos eaux poissonneuses, et voient comme une aubaine le fait qu’elles soient peu surveillées. Mais nous n’allons pas nous laisser faire, c’est notre devoir de citoyens, et nous allons continuer à mettre la pression sur le gouvernement pour qu’il agisse, afin que les choses changent et qu’il mette fin à cette activité illégale ».
La communauté des pêcheurs
Pour cette corporation, il s’agit d’une question de survie, puisque la surpêche et la dégradation de l’habitat marin ont des conséquences désastreuses pour la faune marine. Un rapport national sur la diversité biologique nous apprend que ce corps de métier utilise uniquement des « technique de pêche artisanales (lignes, filets) » respectueuses de l’environnement. En 1999, ils étaient « 450 pêcheurs qui utilisent 135 bateaux dont plus de 85 % ont des tailles moyennes de 6 à 8 mètres et de 10 à 14 mètres » [3].
Mais ce n’est pas tout, ce rapport s’alarmait déjà alors du risque de ne pas appliquer les textes en vigueur : « compte tenu du fait que les menaces sur les ressources biologiques perdurent, on est en droit de s’interroger sur l’application effective des textes promulgués. Comment expliquer la non application des textes existants ? L’État ne possède-t-il pas les moyens matériels et humains pour appliquer les mesures qu’il a édicté ? Les textes législatifs actuellement disponibles sont-il réellement appropriés au contexte socio- économique du pays ? ».
Cette analyse, tout en confirmant les interrogations d’Ibrahim Mougga quant à l’impunité de ces navires, a surtout pour effet de nous inquiéter quant à l’avenir de notre patrimoine marin qui est, il faut le rappeler, exceptionnel selon les biologistes de l’opération Tara.
Halte au chalut ?
Ce type de pêche est inacceptable, elle engendre d’énormes gaspillages de ressources, car un tiers des captures sont rejetées à la mer. Qu’est ce qui serait plus révélateur de cette situation qui se dégrade à une vitesse considérable, qu’aujourd’hui les pêcheurs qui se rendent dans les eaux de Dallay-Af, Maskali-Moucha reviennent bredouilles nous affirme Ibrahim Mougga !
Où sont passés les poissons ? Il faut quand même se poser cette question. Il sera trop tard pour changer les choses lorsqu’il n’y aura plus de coraux ni de poissons à pêcher.
« Ils raclent en toute illégalité les fonds marins et récupèrent dans leurs filets en une journée autant de poissons que nous en récoltons en un an. Des captures d’espèces vulnérables et menacées sont des plus probables ainsi que celles des poissons juvéniles qui se retrouvent pris dans les filets et qui n’ont pas le temps de se reproduire. C’est un énorme gaspillage des ressources, un tiers des captures sont rejetées à la mer. C’est une pêche aveugle, criminelle et industrielle. Ils nous privent de notre gagne-pain et ils voudraient que nous restions les bras croisés », s’émeut Ibrahim.
Ibrahim Omar Ali dresse un bilan catastrophique de cette pêche au chalut, menaçant le fonctionnement de nos écosystèmes marins. Il remarque comme navré qu’aucune mesure d’interdiction, de contrôle voire d’encadrement de la méthode de pêche en mer n’existe… Ce cri du cœur, cet appel à l’aide des artisans pêcheurs djiboutiens, ne peut rester sans réponse. Ils dépendent de la mer - personne ne peut le nier - ils sont en danger, ils sont confrontés à des pêcheurs sans scrupules.
Ces crimes n’impactent pas uniquement le monde de la pêche, nos ambitions dans le tourisme pourraient également prendre un sacré coup si la destruction des coraux pris dans les filets du chalut se poursuivait.
Qui peut imaginer à Djibouti que les générations futures viendront à manquer de poissons… Ce n’est pas une lubie : si ces pratiques continuent, rien ne peut être exclu !
Mahdi A.
[1] Télécharger le Code la pêche djiboutien en PDF.
[2] « PRAREV : un atelier sur la gestion du stock halieutique », La Nation, 1er février 2017, voir en ligne.
[3] Ministère de l’environnement du tourisme et de l’artisanat, « Rapport national à la Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique », avril 1999, télécharger le PDF.
Commentaires
Un cri pour sauver la faune sous-marine de la pêche au chalut chinoise
Le 27 mars 2017, par diner erwan.
Pourquoi laissez faire ces chalutiers chinois et ne pas appliquer la lois ?????
Un cri pour sauver la faune sous-marine de la pêche chinoise au chalut
Le 3 avril 2017, par A.A.A.
je suis concerne par ce grave probleme car je suis Djiboutien et c’est mon devoir de natif de ce pays de defendre nos ressources naturelles, cette razzia qui se deroule en direct sous nos yeux n’a aucun sens tant que les pouvoirs publics concernes ne nous expliqueront pas les raisons de leurs innactions.Pourquoi les autorites competentes restent silencieuse, lorsque ces chalutiers nous narguent ammares aux quais du Port de peche a quelques metres des guardes-cotes Djiboutien ?Devrions-nous manifester notre mecontentement en battant le pave avec des banderoles ?
Nous prevenons tout de suite ceux qui restent dans l’ombre et qui tenterons de nous intimider...nous sommes prets a defendre notre tresor national par des moyens forts et intelligents si on ne prete pas oreilles attentive et raisonnee.
C’est vraiment dommage qu’aujourd’hui nous en arrivions la. Nous avons un des plus beau fond marins qui existe sur terre...on don de Dieu dont nous sommes fier et qui est le noyau de tout un secteur d’activite encore inexploite a son plein potentiel : le tourisme.
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voila ce qui s écrivait dans la presse locale de Djibouti quelques mois avant notre depart pour cette zone nos " tour opérateurs"étaient sans doute au courant de ce fait et une fois sur place ce sont 9 chalutiers Chinois que nous avons vu en rade du port